Les immigrants viennent au Canada pour changer de vie. Cependant, pour nombre d’entre eux, les changements ne sont pas à la hauteur de leurs espérances, et c’est particulièrement vrai pour les femmes de carrière.
« Ce projet est très stimulant du fait que la plupart des recherches effectuées jusqu’à maintenant portaient sur l’emploi des immigrants en général, sans tenir compte des difficultés particulières que rencontrent les femmes », explique Frédéric Dejean. « Pourtant, si vous êtes une musulmane d’Afrique du Nord, les problèmes auxquels vous serez confrontée seront différents de ceux rencontrés par votre mari. »
Chercheur à l’Institut de recherche sur l’intégration professionnelle des immigrants du Collège de Maisonneuve, à Montréal, M. Dejean est aussi directeur d’un projet subventionné par le Fonds d’innovation sociale destiné aux communautés et aux collèges, intitulé « Nouvelles solutions à la déqualification professionnelle des immigrantes ».
Comme le précisait M. Dejean dans le cadre d’une entrevue, en plus de ne pas considérer la différence entre les sexes, la plupart des recherches ont tendance à être axées sur les nouveaux arrivants. Lui-même, ses collègues et leurs partenaires communautaires collaborant au projet (deux groupes œuvrant auprès des immigrantes) savent que les immigrantes mettent fréquemment de côté leur recherche d’emploi pendant quelques années pour élever leurs enfants pendant que leur mari travaille. C’est pourquoi ce projet vise uniquement les femmes qui demeurent au Québec depuis au moins trois ans.
Fait à noter, l’équipe s’entretient avec des immigrantes originaires d’autant de pays que possible et qui vivent dans différentes parties de la ville. Traditionnellement, les immigrants montréalais s’établissaient dans le centre-ville, où sont réunis les services s’adressant à eux. Or, comme de nos jours ils sont nombreux à prendre le chemin de la banlieue, ils se trouvent coupés des services qui les aideraient à trouver du travail.
Puisque l’institut de recherche cible les immigrantes économiques plutôt que les réfugiées, les femmes prenant part à cette étude sont plus instruites que la moyenne des Canadiens et possèdent des qualifications professionnelles impressionnantes. Pourtant, elles ont du mal à décrocher un emploi à la hauteur de leur formation et de leurs compétences.
Certaines femmes confient aux chercheurs qu’elles ont trouvé plus facile d’obtenir un emploi dans une entreprise anglophone, bien qu’elles parlent le français. Certaines estiment qu’elles ne sont pas arrivées à trouver du travail en raison de leur apparence. D’autres éprouvent du ressentiment en raison de la non-reconnaissance de leurs qualifications professionnelles, qui leur ferme la porte du marché du travail et entraîne pour elles une perte de statut. « On sent le désarroi causé par la situation qu’elles vivent. Je pense qu’il s’agit de la pire épreuve qu’elles subissent. » Beaucoup de femmes se plaignent du fait que les agences qui trouvent des emplois aux immigrants se concentrent sur le fait de trouver un emploi le plus vite possible au lieu de leur dénicher un travail correspondant davantage à leurs compétences. Elles regrettent aussi le fait que la rééducation professionnelle qu’on leur propose ne s’accompagne d’aucune aide à l’emploi.
Dejean, ses collègues et leurs partenaires communautaires ne se contenteront pas d’établir une nouvelle liste d’organismes sociaux. « Nous voulons comprendre le cheminement qui mène à l’obtention d’un emploi et découvrir les obstacles qui l’entravent », indique M. Dejean en expliquant que deux femmes qui possèdent des qualifications et un parcours semblables peuvent se retrouver avec des emplois très différents simplement à cause de l’agence ou même de la personne qui s’est occupée de chacune d’entre elles. « Nous voulons découvrir à quel moment ce cheminement prend telle ou telle tournure. » Au terme de leur étude, ils souhaitent participer à l’élaboration de stratégies destinées aux agences et de politiques publiques qui favoriseront l’épanouissement des immigrantes.