Dans le Nord canadien, les tempêtes plus fréquentes et les étés plus chauds ne sont pas seuls à témoigner du changement climatique. Le réchauffement planétaire et la fonte du pergélisol transforment les paysages, et ainsi, le quotidien des habitants du Nord, provoquant des mutations au niveau de leurs activités et connaissances de toujours.
Pour les scientifiques, toutefois, le changement climatique se manifeste par des données concrètes et des phénomènes quantifiables : hausse des températures, gaz à effet de serre, perte de vapeur d’eau.
Selon Graham Strickert, professeur associé au Yukon College et chercheur au Global Institute for Water Security de la University of Saskatchewan, le défi consiste à incorporer ces deux sources de connaissances dans la « recherche à dimensions humaines » pour générer des idées dont les gens du Nord s’inspireront pour composer avec leur milieu changeant.
« La recherche biophysique sur le changement climatique et ses impacts abonde, et elle paraît souvent dans des rapports servant à la communauté scientifique et parfois à l’établissement de politiques, mais demeure peu utile aux Premières Nations et aux communautés isolées », affirme Graham Strickert.
Pour combler cet écart, l’équipe de Graham Strickert, appuyée par le Fonds d’innovation sociale destiné aux communautés et aux collèges du CRSH, puisera dans le savoir des deux milieux en faisant appel à un troisième mode de compréhension : l’art. (Lors d’un projet sur la sécurité de l’eau dans le bassin de la rivière Saskatchewan, monsieur Strickert et ses collègues en ont présenté les résultats dans une pièce de théâtre.)
L’art sera créé par les étudiants de la Yukon School of Visual Art, selon ce qu’ils apprennent auprès des résidents de deux communautés, la Première Nation Vuntut Gwitchin à Old Crow au Yukon, et la Première Nation Jean-Marie-River aux Territoires du Nord-Ouest.
Les œuvres, composées probablement de cartes et d’enregistrements audio et vidéo des résidents et du milieu, deviendront des « objets frontières ». Ceux-ci capteront des changements comme la transformation de terres humides en lacs alors que le pergélisol fondant libère des eaux anciennes, ou l’effondrement de la population de caribous, alors que ses territoires d’approvisionnement et de migration sont devenus des marais.
« Les objets frontières permettent aux gens dont les origines et sources de connaissances diffèrent — la science et le savoir traditionnel — d’unir leurs réalités respectives », dit Graham Stickert. « Nul besoin de définir les objets de la même façon, ni même de penser de la même façon. » Somme toute, le langage artistique créé par les étudiants devient le langage commun.
Les étudiants et les scientifiques suivront une formation de trois jours avant de se rendre dans chaque communauté. Une fois à l’œuvre avec les résidents, l’équipe incorporera l’art dans des exercices sociologiques (p. ex. demander qu’on organise des photos selon l’importance qu’elles représentent), de manière à faire émerger des consensus communautaires sur les enjeux et priorités et ensuite proposer des stratégies d’adaptation au changement climatique.