Ce texte d’opinion est paru à l’origine dans Options politiques, le 20 janvier 2020.
L’évolution rapide du marché du travail canadien engendre à la fois des débouchés et des défis, qui nous forcent tous à réfléchir à l’avenir du travail et de la formation. Ceci est une préoccupation majeure pour les employeurs, les gouvernements, les éducateurs et les apprenants, mais comme le confirme un nouveau sondage mené à l’échelle du pays par la firme EKOS Research Associates, c’est aussi une préoccupation importante pour toute la population canadienne.
Pour 98 pour cent des répondants au sondage, effectué entre le 13 et le 21 août 2019 auprès de 1030 Canadiens en utilisant le panel de recherche en ligne d’EKOS, l’accès à la formation continue est important à tout âge. (La marge d’erreur associée à l’échantillon complet était de +/- 3,1 points de pourcentage 19 fois sur 20.) Selon les résultats, les Canadiens reconnaissent la valeur de l’éducation postsecondaire pour les jeunes, mais pensent aussi qu’il est de plus en plus nécessaire d’avoir accès au recyclage professionnel au fil de sa carrière pour pouvoir s’adapter aux technologies qui perturbent le milieu de travail et aux autres changements qui l’affectent.
Le sondage nous renseigne aussi sur le type de possibilités de formation recherché par les Canadiens. Pour près de 90 pour cent des répondants, une bonne formation en est une qui donne de l’expérience pratique aux étudiants et, pour 87 pour cent d’entre eux, le but des études postsecondaires est d’aider les gens à obtenir un bon emploi et à le conserver. Par ailleurs, 87 pour cent des répondants s’entendent aussi pour dire que « les entreprises devraient prodiguer des conseils aux établissements d’études postsecondaires pour veiller à ce que leurs étudiants obtiennent avec leur diplôme les compétences dont ils ont besoin sur le marché du travail », comme cela se fait déjà pour les collèges et les instituts.
S’il est vrai que l’on ne saurait s’étonner de ces résultats compte tenu de l’importance qu’accorde le public aux compétences axées sur la profession, le sondage a donné lieu à quelques surprises. C’est ainsi que, contrairement à ce que l’on pourrait penser, la plupart des Canadiens (64 pour cent de l’ensemble des répondants et jusqu’à 78 pour cent de ceux âgés de 18 à 34 ans) préfèrent encore la formation en salle de classe aux méthodes d’apprentissage en ligne et autres technologies. Le groupe d’âge le plus visé par le recyclage professionnel, soit les 35 à 54 ans, est un peu moins susceptible que la moyenne canadienne de préférer la formation en salle de classe dans un établissement postsecondaire. Il est donc tout à fait nécessaire d’offrir diverses options de formation.
D’après ce que nous constatons également, les préférences sont partagées au chapitre de l’apprentissage en ligne, les uns penchant pour l’utilisation de ressources préenregistrées de type texte ou vidéo tandis que les autres ont une préférence pour le tutorat direct, en ligne. Les établissements d’enseignement postsecondaire doivent donc rester flexibles, d’autant que la population étudiante qu’ils desservent est de plus en plus diversifiée et peut inclure des salariés déplacés et des gens soucieux de pouvoir s’adapter aux changements affectant leur secteur économique.
Pour de nombreux Canadiens, les obstacles à l’éducation demeurent une préoccupation, ce qui démontre le besoin de renforcer les mesures de soutien offertes, notamment par les gouvernements ou les employeurs. Cela est particulièrement vrai si nous voulons voir plus de gens accéder au recyclage professionnel à un stade avancé de leur carrière. Environ 63 pour cent des répondants ont indiqué que les frais de scolarité et de subsistance sont un obstacle à ce type de formation. Et pour 53 pour cent d’entre eux, le temps à consacrer aux démarches permettant d’y avoir accès en est un autre.
Les fonds récemment investis par le gouvernement fédéral dans des programmes tels que le Crédit canadien pour la formation, le soutien à la formation en période de prestations d’assurance-emploi, de même que le financement de l’apprentissage intégré au travail par le biais du Programme de stages pratiques pour étudiants sont, certes, des formes de soutien appréciables. Mais selon le sondage EKOS, les Canadiens ne sont pas encore certains de disposer des ressources adéquates pour se réorienter professionnellement. Seuls 38 pour cent des répondants disent qu’ils ont suffisamment de soutien, 46 pour cent disant que ce n’est pas le cas.
Les résultats du sondage EKOS correspondent aux conclusions du rapport The Future of Jobs publié par le Forum économique mondial (FEM) qui indique que les employeurs sont décidés à concentrer les efforts qu’ils déploient pour le recyclage professionnel sur des postes importants ou des employés très performants. Seuls 33 pour cent des employeurs interrogés par le FEM ont en effet dit qu’ils accorderaient la priorité au recyclage des salariés à risque occupant des postes risquant fort d’être touchés par l’automatisation. C’est aussi l’impression qui se dégage du sondage canadien EKOS, les jeunes répondants très instruits et aisés estimant avoir suffisamment de possibilités de recyclage et de soutien à cet effet. Les Canadiens ayant un revenu maximal de 50 000 $ et ceux n’ayant qu’un niveau d’études secondaires sont moins susceptibles de trouver qu’ils ont accès à suffisamment de soutien et de possibilités de réorientation professionnelle (35 pour cent et 34 pour cent, respectivement).
Cela donne à penser que le gouvernement a encore de quoi faire, non seulement pour promouvoir, mais aussi pour rationaliser les programmes de soutien aux apprenants de tout âge, notamment les personnes à mi-carrière et celles qui sont sous-employées. Quant aux employeurs, ils gagneraient aussi beaucoup à adopter des politiques de formation continue afin qu’en cette époque de rapide évolution technologique, le perfectionnement professionnel ne soit plus seulement un avantage, mais une exigence de base.
Ils constateront qu’à ce chapitre, les collèges et les instituts sont des partenaires prêts à travailler avec eux, ayant depuis longtemps déjà l’habitude de créer des programmes qui reflètent les besoins des apprenants comme ceux des divers secteurs économiques. Ils se sont dotés de comités consultatifs de programmes auxquels siègent des employeurs locaux qui veillent à ce que chacun des programmes offerts forme des diplômés prêts à se lancer professionnellement. Ils travaillent par ailleurs avec les employeurs pour répondre à leurs besoins de requalification professionnelle, souvent par le biais de contrats de formation conclus à la demande des entreprises de sorte à assurer le perfectionnement professionnel de leur personnel.
Le succès des collèges et des instituts dans ce domaine se reflète dans les résultats du sondage : 91 pour cent des répondants sont d’accord pour dire que les collèges et les instituts « préparent les étudiants en leur donnant les compétences dont ils ont besoin sur le marché du travail ». De la même façon, 88 pour cent des Canadiens estiment que ces établissements ont des répercussions positives sur leur collectivité locale.
Dans l’ensemble, ces résultats sont très encourageants pour l’enseignement postsecondaire dans son ensemble. Ils sont une preuve que les Canadiens font confiance aux établissements postsecondaires pour les préparer à leur réussite. Ils montrent de plus qu’ils sont conscients de la valeur de programmes offrant aux apprenants une formation pratique et les préparant à une réorientation professionnelle. Nous devons toutefois reconnaître que les Canadiens recherchent des options de formation suffisamment souples – tant dans la façon dont ils sont conçus que dans leur mode de prestation, et qu’ils veulent davantage de soutien pour éliminer le risque dont s’accompagne l’investissement dans leur formation continue.
Pour y parvenir, cela demandera des efforts concertés des établissements d’enseignement postsecondaire, des gouvernements et des employeurs, qui ont tous un rôle à jouer pour faire de la culture de l’apprentissage à vie une réalité. Fort heureusement, le Canada a de solides fondations sur lesquelles s’appuyer à cet effet et il compte de nombreux établissements qui travaillent déjà ardemment dans l’intérêt de leurs collectivités.
Pour répondre aux besoins actuels et futurs, les collèges et instituts estiment que ces efforts doivent inclure un meilleur accès aux services d’évaluation et de reconnaissance des acquis (ERA), lesquels permettent aux apprenants de faire valoir leurs connaissances concrètes, raccourcissant ainsi le temps de formation, réduisant les coûts et accélérant la réintégration au travail. Notons que ces services sont déjà offerts d’une façon ou d’une autre dans 95 pour cent des collèges et instituts publics du Canada, même s’ils ne sont pas offerts systématiquement pour chaque programme.
Les gouvernements doivent aussi travailler avec les employeurs, et en particulier les PME, en vue de les encourager à investir dans le recyclage professionnel de leur personnel, et favoriser la collaboration avec les établissements postsecondaires. La lutte mondiale contre le changement climatique offre à ces derniers l’occasion toute trouvée de travailler avec les entreprises des secteurs devant préparer leur personnel à faire face à ces défis. À mesure de l’adoption de nouvelles technologies et procédés pour réduire les émissions de carbone et s’adapter aux changements climatiques dans l’ensemble du pays, le Canada aurait tout intérêt à adopter un cadre de travail pancanadien afin d’orienter l’intégration provinciale et territoriale de stratégies d’adaptation et d’atténuation de ces changements dans l’éducation postsecondaire.
Tandis que le gouvernement fédéral avance dans ses démarches en vue d’établir des lignes directrices dites vertes pour les divers secteurs économiques du pays, les programmes d’études devront aussi évoluer pour s’aligner sur les besoins émergents des employeurs. Leur focalisation sur les compétences vertes sera cruciale non seulement pour instaurer une économie à faibles émissions de carbone, mais pour s’assurer que les Canadiens sont bien équipés pour s’orienter vers de nouveaux secteurs à mesure que ceux-ci émergent.
S’il est vrai que le sondage EKOS montre qu’il est nécessaire de renforcer les mesures de soutien en place, notamment pour promouvoir l’accès au recyclage professionnel, les collèges et les instituts de tout le pays s’appliquent déjà à offrir aux Canadiens la formation pratique centrée sur l’emploi valorisée par ces derniers. Sachant que 95 pour cent de la population canadienne et 86 pour cent de la population autochtone du pays vivent à moins de 50 km d’un collège ou d’un institut desservant leur région, la capacité de ces établissements à répondre aux besoins des apprenants et des employeurs, où qu’ils vivent, restera cruciale pour la prospérité future du pays.
Denise Amyot
Présidente-directrice générale, Collèges et instituts Canada