24 mai 2024

L’avenir de l’éducation est axé sur les défis

Publié en anglais dans TheFutureEconomy.ca le 17 mai 2024.

Les grands enjeux de politique publique du Canada sont nombreux, et ils ne disparaîtront pas du jour au lendemain. Notons parmi eux l’offre de logements durables et abordables, la sécurité alimentaire, la préparation et la prévention des grandes catastrophes naturelles, la conception de villes et d’espaces respectueux de notre environnement, la transition vers des énergies propres et la prise en charge d’une population vieillissante.  

Ce sont là nos défis communs, tant au niveau national qu’au niveau mondial. La bonne nouvelle, c’est que le Canada bénéficie d’un des secteurs postsecondaires les plus solides au monde. Si nous réfléchissons stratégiquement aux «qui», «quoi», «pourquoi», «quand» et «comment» de l’apprentissage, chaque défi se transforme en une opportunité stratégique pour les collèges et instituts. Leur qualité d’éducateurs, de partenaires et d’innovateurs leur permet en effet de contribuer davantage à la solution. 

Mariana Mazzucato, économiste et professeure, appelle cela l’«innovation axée sur les défis». Cette notion veut que des objectifs bien définis et axés sur la résolution des grands défis de la société puissent nous aider à établir des priorités, à rationaliser et à mobiliser des ressources dans tous les secteurs pour élaborer des solutions. Dans un monde marqué par une multiplication des défis et une réduction des dépenses publiques, ces solutions sont plus que jamais nécessaires. 

Investir dans l’apprentissage est essentiel. Une approche axée sur les défis implique de commencer par «pourquoi». 

Étape 1 : Identifier le défi 

Prenons l’exemple du logement. En 2022, la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) signalait que 1,4 million de ménages au Canada n’avaient pas accès à un logement de qualité. Si l’on veut que le marché du logement redevienne abordable, le Canada devrait, toujours selon la SCHL, construire 3,45 millions de logements supplémentaires d’ici à 2030. D’autres estiment en revanche que les chiffres réels sont bien plus élevés.

La population canadienne a désespérément besoin d’une réponse. Parmi les solutions proposées figure un Fonds pour accélérer la construction de logements. Doté d’un budget de 4 milliards de dollars, il prévoit entre autres des incitatifs pour les municipalités et des allègements fiscaux pour les promoteurs immobiliers. Il est clair que le défi du logement abordable se pose à l’échelle du pays. Mais si nous reconcevons la nature réelle du défi, il sera plus facile de savoir quelles solutions systémiques les collèges et instituts peuvent apporter à la table.   

Comment? 

Très concrètement, les enjeux tels que l’accessibilité et l’abordabilité des logements ne se limitent pas à l’aspect pécuniaire. Il s’agit aussi de développer une main-d’œuvre capable de répondre à la demande. C’est là que les collèges et instituts rentrent dans l’arène. 

Les travailleuses et travailleurs des métiers spécialisés bâtissent et réparent des structures telles que des maisons, des écoles, des hôpitaux et des routes, en plus d’autres infrastructures essentielles. Sans ces hommes et ces femmes, notre économie serait à l’arrêt. La construction d’une maison type nécessite l’intervention sur chantier de plus de 30 corps de métier différents et autres professions. Pour assurer son avenir, le secteur du logement au Canada a besoin non seulement d’hommes et de femmes pour la conception, la peinture, la plomberie, l’électricité, la maçonnerie, le recouvrement, mais aussi de beaucoup d’équipements. 

Pourtant, un rapport de Leadership avisé RBC révèle en 2021 qu’au cours des cinq prochaines années le Canada manquera de 10 000 personnes dans les métiers du Sceau rouge reconnus à l’échelle nationale.  Lorsque l’on tient compte des 250 métiers reconnus au niveau provincial, ce nombre est décuplé. Si nous voulons vraiment relever les défis du Canada en matière de logement, ces chiffres ne peuvent être ignorés.

Ce sont les collèges et instituts qui forment directement à ces emplois. Nous devons toutefois redoubler les investissements publics si nous voulons accroître les débouchés. La School of Construction and the Environment du British Columbia Institute of Technology offre ainsi plus de 90 programmes et 272 cours à temps partiel, microcertifications et options de formation personnalisées dans des domaines tels que le génie civil, la gestion de la construction, la ferronnerie, le soudage et la plomberie. Au Nova Scotia Community College, les étudiantes et étudiants peuvent apprendre des métiers tels que la maçonnerie de briques et de pierres, le dessin, la tuyauterie et la charpenterie.

Étape 2 : Découvrir les besoins du marché 

Outre le logement, la plupart des grands défis de ces cinq dernières années en matière de main-d’œuvre relèvent directement du domaine des collèges et instituts. Leurs programmes sont directement adaptés, en temps réel, aux besoins de la population canadienne (tant du point de vue des employeurs que de celui des apprenants).  

Penchons-nous brièvement sur l’industrie du cannabis. Dès les premiers mois qui ont suivi la légalisation, une dizaine de collèges et instituts ont élaboré et mis en œuvre des programmes visant à former des professionnels à tous les aspects de ce secteur florissant. Quant au secteur des technologies émergentes, les collèges et instituts proposent près de 50 programmes dans des domaines tels que l’IA, les mégadonnées, l’analyse de données et l’apprentissage automatique. 

Pour ce qui est du vieillissement de la population au Canada, les collèges et instituts offrent des possibilités de recherche et de formation pour améliorer la qualité de vie des personnes âgées. Ils proposent notamment un programme national de microcertification pour remédier rapidement à la pénurie de main-d’œuvre dans le secteur des soins de longue durée.

Quoi? 

Aujourd’hui, parmi nos plus grands défis figurent l’énergie, la durabilité et les compétences vertes. La transition énergétique ne se limite pas aux éoliennes et aux panneaux solaires. Elle consiste à restructurer radicalement nos modes de production, d’utilisation, de stockage et de gestion de l’énergie dans tous les secteurs, et pas seulement dans celui des ressources naturelles.  

Le rapport «Électricité en demande» (2023) de Ressources humaines, industrie électrique du Canada (RHIEC) a identifié des domaines tels que les maisons et les villes intelligentes, l’intégration des véhicules électriques, l’efficacité énergétique et le stockage de l’énergie comme des domaines prioritaires où la demande sur le marché du travail augmentera au cours des cinq prochaines années. Le rapport souligne qu’une stratégie d’investissement dans la quantité et la qualité de la main-d’œuvre est essentielle pour garantir la durabilité de la croissance dans le secteur. En d’autres termes, nous devons former davantage de travailleuses et travailleurs dans ce secteur et veiller à ce qu’ils possèdent la formation et les compétences adéquates.

La première sous-gouverneure de la Banque du Canada, Carolyn Rogers, s’est récemment exprimée à ce sujet dans un discours important. Elle a déclaré que, si nous veillons à ce que la formation et l’éducation permettent aux Canadiennes et Canadiens d’acquérir les compétences nécessaires, nous pourrons stimuler l’innovation et la productivité et ainsi réduire les risques d’inflation future.

C’est exactement à ce genre de demande sur le marché du travail que les collèges et instituts répondent par leurs programmes. L’Algonquin College, par exemple, est un partenaire de longue date d’Hydro Ottawa dans le cadre du programme de diplôme de technicien en lignes électriques. Les instructeurs chevronnés de l’Algonquin College dispensent les éléments théoriques du programme d’études. Les employés d’Hydro Ottawa donnent quant à eux des cours pratiques dans leurs installations, ce qui permet aux étudiantes et étudiants d’apprendre le métier sur le tas. Dans le cas présent, les collèges et instituts répondent directement aux besoins réels des employeurs et des fournisseurs d’énergie. 

Au Cégep de Saint-Jérôme, les étudiantes et étudiants ont littéralement la possibilité de faire avancer la transition écologique du Canada grâce au programme de Technologies des véhicules électriques. Ils apprennent à travailler sur des aspects fondamentaux de ce secteur en plein essor, depuis le développement et la fabrication jusqu’à l’inspection, la maintenance et le contrôle de la qualité.  

Pour que notre transition énergétique et durable soit un succès, nous devons nous concentrer sur les connaissances enseignées dans le cadre de nos défis majeurs, tout en abordant la question de la qualité de la main-d’œuvre. L’autre moitié est une question de quantité. 

Étape 3 : Rendre accessible et appliqué 

La simple réalité est que nous avons besoin de plus de travailleuses et de travailleurs pour répondre à la demande du marché du travail résultant de ces défis majeurs. Une main-d’œuvre diplômée des collèges et instituts est indispensable. Pourtant, trop souvent, le public se méprend sur le secteur des collèges et des instituts. Sans oublier que les limitations à l’accès rentrent aussi en ligne de compte. Nous devons mieux recadrer les perceptions sur la formation professionnelle et les métiers spécialisés. Pour ce faire, il nous faut prendre comme base des données probantes. Tout cela est crucial pour chacune de nos collectivités.  

La réalité veut que les collèges et instituts soient pertinents, qu’ils soient adaptés aux besoins de l’industrie et qu’ils mènent à des carrières hautement qualifiées, gratifiantes et bien rémunérées. Les données de Statistique Canada montrent que les compagnons formés dans les collèges et instituts dans certains domaines liés à la construction (dont les techniciens de lignes électriques, les grutiers et les techniciens d’instrumentation et de contrôle industriels) peuvent gagner plus de 100 000 dollars par an. En bref, les collèges et instituts aident la population à acquérir les compétences axées sur l’emploi indispensables pour pouvoir s’épanouir immédiatement au travail. Ce type d’apprentissage est de plus en plus fréquent dans un environnement de recherche appliquée.  

Par exemple, le Green Building Technologies Access Centre du SAIT collabore avec des partenaires de l’industrie de la construction pour concevoir, mettre en œuvre et commercialiser des technologies, des procédés, des systèmes et des services respectueux de l’environnement. Ces derniers sont dès lors susceptibles de transformer la manière dont nous construisons les espaces résidentiels et industriels.  

La recherche appliquée menée au sein des collèges et instituts nous aide certes à trouver des solutions à nos problèmes climatiques et de logement. Mais aussi, pour les étudiantes et étudiants, le fait de travailler sur un projet de recherche appliquée leur offre une perspective interne sur leur secteur d’activité, ce qui leur permet de mettre en pratique les compétences acquises en classe dans des scénarios concrets et de commencer à constituer leur boîte à outils professionnelle. En 2021-2022, ce sont 27 000 étudiantes et étudiants qui ont contribué à des projets de recherche appliquée dans les laboratoires et les centres de recherche des collèges et instituts. 

Qui? 

Il est important que davantage de Canadiennes et Canadiens, ainsi que les nouveaux arrivants au Canada, aient la possibilité de contribuer de manière significative à notre économie et d’aider à résoudre ces défis majeurs. Cela implique que les programmes soient flexibles, accessibles et produisent des résultats rapides pour améliorer ou renforcer les compétences, en particulier pour les groupes traditionnellement sous-représentés dans l’enseignement postsecondaire. 

Étape 4 : Investir dans l’enseignement et l’apprentissage pour relever nos défis nationaux 

Les collèges et instituts contribuent à une croissance économique inclusive en générant plus de 190 milliards de dollars en retombées économiques annuelles et en travaillant avec une foule de partenaires privés et communautaires pour offrir plus de 10 000 programmes de formation à des étudiants en milieu urbain, rural, éloigné ou nordique. Le manque de financement est une menace existentielle qui pèse sur cet impact économique. Pourtant, notre pays n’a pas revu à la hausse de manière significative le financement public des collèges et instituts au cours des dix dernières années.

Les collèges et instituts sont des établissements bénéficiant d’aides publiques. Cela signifie que leur mode de financement détermine leurs possibilités d’action. Contrairement aux organismes privés, qui sont eux guidés par leurs clients. Certains débats publics détournent souvent la conversation des véritables enjeux. C’est le cas par exemple de celui qui se déroule actuellement sur le thème de la croissance durable du nombre d’étudiants internationaux.

L’avenir de l’éducation est axé sur les défis Si nous définissons «qui», «quoi», «pourquoi» et «comment» investir dans l’apprentissage à partir de nos défis majeurs, chacun d’entre eux deviendra une opportunité pour les collèges et instituts. Leur qualité d’éducateurs, de partenaires et d’innovateurs leur permet en effet de contribuer davantage à la solution.   

«Quand» veut tout simplement dire «maintenant».