Par Denise Amyot, présidente-directrice générale, Collèges et instituts Canada
Publié dans Éducation pour l’emploi, automne 2023.
D’ici à 2028, ce sont plus de 700 000 personnes de métier qualifiées qui prendront leur retraite au Canada. Voilà ce que révèle un rapport de Leadership avisé RBC en 2021 (Powell & Richardson, 2021). Il précise également que l’un des principaux défis du secteur est la persistance de la sous-représentation des femmes et des immigrants. Les défis à relever sont certes considérables pour l’avenir du secteur. Mais les débouchés le sont tout autant.
Les travailleuses et travailleurs des métiers spécialisés bâtissent et réparent des structures telles que des maisons, des écoles, des hôpitaux et des routes, en plus d’autres infrastructures essentielles. Sans ces hommes et ces femmes, notre économie serait à l’arrêt. Et pourtant, on constate une diminution du nombre de titulaires de certificats d’apprentissage en âge de travailler. Selon les données du dernier recensement, ces chiffres ont soit stagné, soit diminué de 10% entre 2016 et 2021.
Cette tendance est de mauvais augure pour l’avenir du secteur. Il est urgent d’agir pour la combattre. La bonne nouvelle, ce sont les nouveaux investissements des gouvernements pour recruter de nouveaux travailleurs qualifiés. La mauvaise nouvelle, en revanche, est que le secteur reste confronté à la stigmatisation, aux idées préconçues et aux restrictions d’accès.
Modifier la perception liée aux revenus
Dans les métiers spécialisés, un compagnon est un individu qui a réussi son examen et reçu un certificat de qualification de la part de l’autorité provinciale ou territoriale compétente en matière d’apprentissage. On peut devenir compagnon soit en suivant une formation en apprentissage, soit en passant l’examen sans avoir suivi d’apprentissage formel. On parle dans ce dernier cas de figure d’ouvrier professionnel.
Bien qu’il existe de nombreuses filières différentes pour faire carrière dans les métiers, la formation en apprentissage formel permet d’améliorer l’employabilité. En moyenne, les personnes qui suivent une formation formelle déclarent gagner davantage que les ouvriers professionnels. C’est ce que révèle un rapport publié en 2021 par l’Education Policy Research Initiative et le Conseil de l’information sur le marché du travail (Finnie, Dubois, & Miyairi, 2021).
Si l’on compare les chiffres, le rapport a révélé que le salaire moyen des personnes de métier s’élevait à 62 000 dollars au cours de la première année suivant l’obtention du certificat. En outre, le rapport révèle que celles et ceux qui suivent une formation formelle en apprentissage gagnent près de 10% de plus que les ouvriers professionnels au cours de la première année après la délivrance de leur certificat. Le rapport indique également que les compagnons qui suivent une formation en apprentissage ont probablement de meilleures relations avec les réseaux professionnels formels et informels. Il en ressort aussi qu’ils sont plus à même de trouver des emplois mieux rémunérés que les ouvriers professionnels.
Des données similaires de Statistique Canada montrent également que les compagnons dans certains domaines liés à la construction, comme les monteurs de lignes électriques, les opérateurs de grues et les techniciens en instrumentation et contrôle industriels, peuvent gagner plus de 100 000 $ par année.
Experts en apprentissage pratique
Les apprentissages combinent formation en milieu de travail et études en salle de classe. Ces expériences sont précieuses tant pour les étudiantes et étudiants qui se lancent dans les métiers que pour les employeurs. Les apprentissages aident les employeurs à recruter de nouveaux talents et permettent aux étudiantes et étudiants de décrocher un diplôme validant les compétences requises par les employeurs.
Les programmes de préapprentissage préparent les étudiants à entrer en apprentissage, à développer leurs compétences professionnelles et leur préparation au métier, ainsi qu’à trouver un emploi en tant qu’apprentis. Cette filière contribue à remédier aux pénuries de main-d’œuvre dans les métiers en donnant aux étudiants la possibilité de découvrir une carrière potentielle tout en minimisant les enjeux.
Les collèges et instituts sont des experts de l’apprentissage pratique. Ils proposent plus de 300 programmes de préapprentissage dans plus de 20 métiers spécialisés. En outre, plus de 80 de ces programmes sont conçus pour appuyer les groupes traditionnellement sous-représentés dans les métiers.
Par exemple, le Nunavut Arctic College offre cinq programmes de préapprentissage conçus pour préparer ses étudiantes et étudiants à des carrières dans des métiers tels que l’entretien des logements, la menuiserie et la mécanique des systèmes de chauffage. Cette approche pluridisciplinaire permet aux apprenantes et apprenants d’acquérir non seulement des connaissances et des compétences techniques, mais aussi de renforcer leur confiance en eux. Ce qui est important pour leur réussite.
Au George Brown College, le programme Women Transitioning to Trades and Employment (Femmes en transition vers les métiers et l’emploi) accompagne les femmes et les personnes non binaires, trans et bispirituelles à la recherche d’un emploi stable dans les métiers et les domaines liés à la construction. Ce programme a pour but d’augmenter le nombre de personnes issues de groupes sous-représentés souhaitant s’orienter vers les métiers et y prospérer.
Les collèges et instituts organisent aussi régulièrement des activités interactives pour les élèves du secondaire. Elles servent à leur apprendre à se repérer dans les offres de formation, à identifier les compétences nécessaires pour réussir et à se familiariser avec les méthodes permettant de s’engager sur la voie de la réussite.
Ce ne sont là que quelques exemples des types d’apprentissages de haute qualité qui préparent les individus à des carrières prometteuses dans les métiers.
Renforcer l’intérêt et la passion professionnelle
Il y a trois ans, en partenariat avec le Forum canadien sur l’apprentissage, Collèges et instituts Canada (CICan) mettait en œuvre un programme visant à accroître la participation des groupes sous-représentés dans les métiers spécialisés afin de contribuer à leur réussite. Il visait notamment les femmes, les Autochtones, les nouveaux arrivants, les personnes en situation de handicap et les jeunes.
Le programme, intitulé « Favoriser l’accès à des parcours inclusifs en préapprentissage », a permis à des personnes confrontées à des obstacles à l’éducation d’accéder à une formation sur mesure conçue pour faciliter le développement des compétences, les possibilités d’apprentissage pratique et l’accès à une carrière épanouissante. Afin d’avoir un impact sur l’ensemble du secteur, nous avons recueilli des données, mené des entretiens et mis au point une panoplie de ressources. Citons parmi celles-ci une analyse environnementale, un inventaire des programmes de préapprentissage, un outil sur la diversité et l’inclusion, etc.
Sur les 84 participants ayant suivi et réussi le programme, 77% ont exprimé leur intérêt à poursuivre une carrière dans un domaine lié aux métiers. Et 60% d’entre eux ont exprimé le désir de suivre un apprentissage.
Ces résultats mettent en évidence que les programmes de formation formelle peuvent renforcer la passion pour les métiers. Cela est particulièrement vrai pour les personnes traditionnellement sous-représentées dans le secteur. Si nous voulons bâtir un avenir durable, il nous faut davantage d’hommes et de femmes pour la plomberie, la chaudronnerie, l’exploitation d’équipements lourds et la soudure. Ceci permettra de refléter la diversité de nos collectivités.
L’avenir du secteur
Nous savons qu’il existe actuellement un fossé entre les employeurs du secteur des métiers et les apprentis. Il peut être difficile pour les employeurs de recruter et de fidéliser de jeunes travailleuses et travailleurs. La rentabilité est souvent affectée par le temps investi dans la formation et les apprentis, aussi enthousiastes soient-ils, ont parfois du mal à trouver un stage. Il faut trouver des solutions à ces défis au fur et à mesure que nos besoins et nos préférences évoluent.
En tant que porte-parole national des collèges et instituts, nous rassemblons nos établissements dans le cadre de programmes et de projets nationaux. Ces derniers visent à trouver des solutions à des défis économiques et sociaux similaires à ceux rencontrés aujourd’hui dans le secteur des métiers. Il peut notamment s’agir d’accorder des subventions salariales pour aider les étudiantes et étudiants à décrocher un emploi, de mettre au point de nouvelles microcertifications et des méthodes d’enseignement novatrices, d’aider les nouveaux arrivants sur le marché du travail, et bien plus encore.
Apprentissages Lancement de carrière, par exemple, offre des incitatifs financiers et d’autres ressources aux petits et moyens employeurs des secteurs de la construction et de la fabrication pour les aider à embaucher de nouveaux apprentis. Le programme permet aux employeurs d’accéder aux talents nécessaires pour faire prospérer leur entreprise. Il leur permet aussi de bénéficier d’incitatifs pour recruter, embaucher et intégrer de nouveaux apprentis, sans oublier le soutien nécessaire pour naviguer dans les systèmes de certification des apprentis au Canada, ceux-ci variant d’une province à l’autre. Mais aussi, il contribue à accroître la diversité dans les métiers en incitant les employeurs à embaucher des apprentis issus de groupes traditionnellement sous-représentés dans le secteur et en leur fournissant les ressources nécessaires pour les accompagner dans leur démarche.
Les collèges et instituts forment un réseau pancanadien de fournisseurs de compétences. À ce titre, ils rendent de telles ressources facilement accessibles aux collectivités et aux employeurs de l’ensemble du pays. Et de fait, avec ses quelque 700 campus, plus de 95% des Canadiens et plus de 86% des peuples autochtones se trouvent à moins de 50 km d’un collège ou d’un institut.
Une carrière dans les métiers spécialisés est gratifiante, bien rémunérée et implique un travail hautement qualifié et des connaissances spécialisées – sans parler des possibilités de posséder sa propre entreprise. Nous devons nous efforcer de remettre en question les idées reçues sur la formation professionnelle et les carrières spécialisées telles que les métiers. Elles sont cruciales pour chacune de nos collectivités.
Les collèges et instituts sont des chefs de file dans le domaine de l’apprentissage axé sur les compétences de haute qualité. Ils font donc partie de la solution.